TRIGGER WARNING
[Sang, automutilation]
Note : Plusieurs termes (suivis par un *) sont en
lien avec les rêves et le sommeil, un dictionnaire est disponible en
bas de l'article si vous souhaitez en savoir plus ^^
Quatrième de couverture
Psychologue réputée pour son
expertise dans les affaires criminelles, Abigaël souffre d'une
narcolepsie* sévère qui lui fait confondre le rêve avec la
réalité. De nombreux mystères planent autour de la jeune femme,
notamment concernant l'accident qui a coûté la vie à son père et
à sa fille, et dont elle est miraculeusement sortie indemne.
L'affaire de disparition d'enfants sur
laquelle elle travaille brouille ses derniers repères et fait
bientôt basculer sa vie dans un cauchemar éveillé...
Dans cette enquête, il y a une proie
et un prédateur : elle-même.
Que dire ?
Plusieurs thèmes sont abordés dans ce
roman, le principal étant le sommeil et tout ce qui y touche :
rêves et maladies du sommeil. J'ai également fait un parallèle
avec les rêves lucides*.
J'ai été agréablement surprise car
la plupart des points abordés sont traités de façon réaliste :
les rêves ne sont pas des outils pour voir le futur, la narcolepsie
n'est pas un élément comique et des traitements permettant de
réduire les symptômes sont présentés. La cataplexie* est
également mentionnée, elle est même utilisée pour souligner les
fortes émotions du personnage, sans que ce soit répétitif ou
abusif.
De plus, certains passages en profitent
pour souligner l'importance du sommeil sur le cerveau, pour expliquer
les différentes phases de sommeil ou pour aborder les croyances et
mythes qui tournent autour du monde onirique (comme les « démons »
que des personnes peuvent voir lors de paralysies du sommeil*). Il y
a même certains questionnements, comme l'identité au travers des souvenirs.
Comment savoir qui on est, si nos souvenirs nous font défaut,
peuvent être modifiés, voire effacés ?
La façon dont la maladie est abordée
m'a également plu : avant ses pertes de mémoire, Abigaël
semblait être parvenue à un équilibre, sa maladie pouvait être
parfois dérangeante mais Abi n'était pas victime de celle-ci :
elle a une fille, un métier à hautes responsabilités et des
collègues compréhensifs.ives. Donc une façon cool de représenter
les troubles ou maladies chroniques.
Malgré tout ça, il y a un détail qui
m'a dérangée. Et ce qui est dommage, c'est que c'est un détail
important. Pour tenter de dissocier rêves et réalité, Abi met en
place une stratégie très connue dans la communauté des rêveur·euses
lucides : les tests de réalité*. Le souci est que les tests
utilisés par Abi ne sont pas fiables du tout ! Ils se basent
sur une croyance fausse qui est « en rêve, on ne peut pas se
blesser ou ressentir de douleur ». C'est cette croyance qui
pousse les gens à se pincer (très fort) pour vérifier s'ils rêvent
ou non. Or, ce test de réalité ne sert à rien car on peut
ressentir la douleur en rêve et on peut même saigner.
Aussi, je pense que ses tests ne sont
là que pour une chose : souligner la déchéance du personnage,
refléter son déséquilibre mental par des blessures physiques qui
sont de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que l'histoire
avance.
Malgré tout, j'aime la raison qui pousse Abi à utiliser ces tests-là : elle a noté ses rêves et
a analysé ces derniers. C'est ce qui lui a permise de constater les
éléments récurrents et de réagir en conséquence. Ce genre d'analyses est une chose que les
rêveur·euses lucides font souvent.
Il y a plusieurs dualités dans ce
roman. La première, et la plus évidente, est celle qui oppose rêve
et réalité. Ici, on ne retrouve pas d'opposition manichéenne, avec
le monde des rêves où « tout est possible » qui
semblerait mieux que la morne réalité. Non, ici, les deux se
valent. Abi n'est en sécurité nulle part, elle n'a pas vraiment de
moments de répit : à cause de son métier et de son passé,
ses rêves sont souvent chaotiques, violents, peuplés de créatures
hideuses. Sa réalité n'est guère mieux car elle lutte contre son
corps, sa maladie, contre les monstres bien réels que sont les
criminel.le.s.
Une autre dualité est celle qui oppose
corps et esprit. Abi perd la mémoire, de plus en plus souvent. Son
esprit lui fait alors défaut, elle ne peut pas s'y fier. Elle
utilise alors son corps pour tenter de rester dans la réalité :
elle se fait mal pour savoir si elle rêve ou non. Son corps est donc
une sorte de bouée de sauvetage pour ne pas perdre pied... sauf que
son corps n'est pas totalement fiable non plus, à cause de crises de
sommeil ou de cataplexie qui peuvent la prendre n'importe quand. Là
encore, Abi n'a pas de point de repères, pas de moyen de se
stabiliser.
Il y a aussi une dualité temporelle et
narrative. Le récit est structuré en deux axes temporels :
l'un débute un peu avant l'accident, l'autre dix jours avant la
résolution de l'enquête policière.
Les aller-retours entrent ces deux axes
sont fréquents. De plus, en parallèle, il y a deux trames
narratives : l'une suit l'enquête policière, l'autre se
concentre sur Abigaël qui mène une (en)quête personnelle sur les
mystères autour du fameux accident et qui lutte contre les pertes de
mémoire aux origines inconnues.
Tout cela m'a un peu donné le vertige.
Tout comme notre protagoniste, je me suis vite sentie perdue, ne
sachant qui ou quoi croire.
Un petit repère est donné pour nous
aider à remettre de l'ordre dans les événements mais malgré tout,
un retour en arrière a été nécessaire pour me remémorer les
événements précédents.
Le repère en question est une ligne
avec deux points, les deux événements majeurs de l'histoire. Les
autres sont vaguement situés sur cet axe, mais restent flous. Au
cours de ma lecture, j'ai regretté de ne pas avoir pris quelques
notes pour garder une trace des événements et l'ordre dans lequel
ils se sont produits. Avec un autre livre, je pense que j'aurais
trouvé ça gênant mais dans ce dernier, cela m'a aidée à
ressentir une forte empathie pour Abigaël. Elle écrit pour lutter
contre ses pertes de mémoire et je me suis retrouvée dans la même
posture qu'elle : obligée de me raccrocher à un support écrit
pour ne pas oublier ce qu'il s'est passé. Je me suis mise à douter
de tout, également. On peut être certain.e des deux
événements principaux, mais pas des autres car ils ne laissent pas
de trace sur l'axe. Abi est-elle en train de perdre la tête ?
Vit-elle vraiment les événements racontés ou tout cela se
passe-t-il uniquement dans son esprit ? Ou, pire, est-ce un
mélange des deux, tellement indissociables qu'il serait impossible
de savoir ce qui est réel et ce qui ne l'est pas ?
Cependant, il y a une chose à laquelle
j'ai pu me raccrocher, ce sont les émotions d'Abi. Que les
événements soient réels ou non, c'est bien la seule chose sur
laquelle on ne peut douter : elle a peur, elle est perdue, elle
doute. Mais aussi, et surtout, elle fait preuve d'un courage et d'une
détermination incroyables pour découvrir la vérité et s'en sortir
par tous les moyens.
Donc, beaucoup de bonnes choses,
beaucoup d'émotions, de réflexions...
Aussi, j'ai trouvé la fin un peu fade
par rapport au reste. Je suis tout de même soulagée que ce ne soit
pas un cliché du genre « Ah bah tout ça était faux, elle
était dans le coma suite à l'accident ».
Même si l'auteur s'est bien amusé à
nous perdre du début à la fin (perso, je me suis faite avoir...deux fois), les révélations finales ne
sont pas aussi exceptionnelles que le parcours de notre
chère Abigaël. J'ai parfaitement compris les motivations de l'antagoniste mais j'ai trouvé celles-ci un peu « légères »,
même si on peut les expliquer facilement (je ne dirais rien, sinon
je spoile une bonne partie de l'histoire).
Bref !
Un coup de cœur ! J'ai découvert
ce livre au travers d'une communauté de rêveurs.euses lucides dont
je fais partie. Les rêves m'intéressent depuis
longtemps. J'avais un peu peur du traitement réservé aux rêves et
aux maladies du sommeil, plus précisément. Mais ici, je ne trouve
presque rien à redire, si ce n'est les tests de réalité.
Je suis restée agrippée à l'histoire
et il ne m'a pas fallu longtemps pour la finir. Cela a même donné un petit coup de pouce à ma mémoire onirique*. La fin du roman m'a un peu
déçue, certes, mais elle reste logique et pertinente à mes yeux.
Je déconseille ce roman aux personnes
qui n'aiment pas les récits ayant une chronologie chaotique. Par
contre, si tu aimes ce qui touche aux rêves, au sommeil, etc, c'est
une lecture intéressante et agréable car les erreurs dans ce
domaine sont rares et ne nous sortent pas du roman.
Citation
« Que sommes-nous, sans mémoire,
sans souvenirs, sans le rappel de ces visages, de ces voix qui ont
accompagné nos existences ? Juste un point sur la courbe du
temps ? »
(Assez drôle quand on sait que le
repère qu'on nous donne est présenté sous forme de point sur un
axe temporel ^^).
Bonus - Dictionnaire
Narcolepsie (ou maladie de Gélineau) : trouble du sommeil chronique, caractérisé par un temps de sommeil excessif. Les personnes concernées peuvent s'endormir involontairement, en pleine journée.
Rêve lucide : rêve dans lequel la personne est consciente qu'elle est en train de rêver.
Le rêve lucide est un phénomène normal, qui peut être provoqué, qui a été étudié et vérifié scientifiquement. Les travaux de Stephen Laberge sont les plus connus actuellement.
Voir le site "Attrape-Songes" pour en savoir plus : http://attrape-songes.com/
Cataplexie : un des symptômes majeurs de la narcolepsie. C'est une perte du tonus musculaire, le plus souvent sous l'effet d'une forte émotion. La cataplexie cesse quand l'émotion cesse. Cela peut concerner certains muscles ou le corps entier, sans altération de la conscience (la personne s'effondre mais est parfaitement éveillée).
Paralysie du sommeil : lors de l'endormissement, le corps est soumis à une atonie musculaire, une paralysie des muscles pour éviter de bouger lors des rêves (imaginez le danger, si vous rêvez que vous sautez par la fenêtre pour voler ? sans l'atonie musculaire, vous sauteriez pour de vrai !). En temps normal, quand cette atonie intervient, nous ne sommes plus conscients. Mais certaines personnes le sont toujours. Elles sont donc paralysées mais conscientes. Cette expérience, appelée "paralysie du sommeil", peut être accompagnée d'hallucinations ou de sensations d'étouffement, ce qui rend le tout très désagréable quand on y est confronté·e pour la première fois.
La paralysie du sommeil peut être un symptôme de la narcolepsie.
Test de réalité : pour provoquer un rêve lucide, il existe plusieurs techniques. L'une d'elles consiste à vérifier régulièrement si on est en train de rêver, en espérant développer ce réflexe dans ses rêves. Il s'agit donc de "tester" la réalité. Pour cela, on se base sur certaines incohérences liées au monde des rêves.
Ex : dans un rêve, il est difficile, voire impossible, de voir le reflet d'un miroir. Le reflet est souvent flou, parfois au point de ressembler à un nuage de fumée, ou il est très différent de ce qu'il montrait.
Autre ex : dans les rêves, il est possible de se pincer le nez et de respirer par celui-ci malgré tout.
Donc, comme test de réalité, on peut décider de regarder un miroir ou de se pincer le nez et d'essayer de respirer par celui-ci. Si le miroir est net ou si l'air ne passe pas, cela veut dire qu'on ne rêve pas. Dans le cas contraire, c'est un rêve.
Mémoire onirique : Capacité à se souvenir de ses rêves au réveil. Chacun·e se souvient plus ou moins de ses rêves : certaines personnes peuvent ne garder aucun souvenir, d'autres ont des souvenirs très précis, avec beaucoup de détails.
La mémoire peut se travailler, en prenant l'habitude de noter ses rêves, tous les jours. Lire/écrire/réfléchir sur le sujet peut également avoir un effet positif sur la mémoire.
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