samedi 8 septembre 2018

Rêver - Franck Thilliez

TRIGGER WARNING
[Sang, automutilation]



Note : Plusieurs termes (suivis par un *) sont en lien avec les rêves et le sommeil, un dictionnaire est disponible en bas de l'article si vous souhaitez en savoir plus ^^


Quatrième de couverture

Psychologue réputée pour son expertise dans les affaires criminelles, Abigaël souffre d'une narcolepsie* sévère qui lui fait confondre le rêve avec la réalité. De nombreux mystères planent autour de la jeune femme, notamment concernant l'accident qui a coûté la vie à son père et à sa fille, et dont elle est miraculeusement sortie indemne.
L'affaire de disparition d'enfants sur laquelle elle travaille brouille ses derniers repères et fait bientôt basculer sa vie dans un cauchemar éveillé...
Dans cette enquête, il y a une proie et un prédateur : elle-même.


Que dire ?

Plusieurs thèmes sont abordés dans ce roman, le principal étant le sommeil et tout ce qui y touche : rêves et maladies du sommeil. J'ai également fait un parallèle avec les rêves lucides*.
J'ai été agréablement surprise car la plupart des points abordés sont traités de façon réaliste : les rêves ne sont pas des outils pour voir le futur, la narcolepsie n'est pas un élément comique et des traitements permettant de réduire les symptômes sont présentés. La cataplexie* est également mentionnée, elle est même utilisée pour souligner les fortes émotions du personnage, sans que ce soit répétitif ou abusif.
De plus, certains passages en profitent pour souligner l'importance du sommeil sur le cerveau, pour expliquer les différentes phases de sommeil ou pour aborder les croyances et mythes qui tournent autour du monde onirique (comme les « démons » que des personnes peuvent voir lors de paralysies du sommeil*). Il y a même certains questionnements, comme l'identité au travers des souvenirs. Comment savoir qui on est, si nos souvenirs nous font défaut, peuvent être modifiés, voire effacés ?
La façon dont la maladie est abordée m'a également plu : avant ses pertes de mémoire, Abigaël semblait être parvenue à un équilibre, sa maladie pouvait être parfois dérangeante mais Abi n'était pas victime de celle-ci : elle a une fille, un métier à hautes responsabilités et des collègues compréhensifs.ives. Donc une façon cool de représenter les troubles ou maladies chroniques.

Malgré tout ça, il y a un détail qui m'a dérangée. Et ce qui est dommage, c'est que c'est un détail important. Pour tenter de dissocier rêves et réalité, Abi met en place une stratégie très connue dans la communauté des rêveur·euses lucides : les tests de réalité*. Le souci est que les tests utilisés par Abi ne sont pas fiables du tout ! Ils se basent sur une croyance fausse qui est « en rêve, on ne peut pas se blesser ou ressentir de douleur ». C'est cette croyance qui pousse les gens à se pincer (très fort) pour vérifier s'ils rêvent ou non. Or, ce test de réalité ne sert à rien car on peut ressentir la douleur en rêve et on peut même saigner.
Aussi, je pense que ses tests ne sont là que pour une chose : souligner la déchéance du personnage, refléter son déséquilibre mental par des blessures physiques qui sont de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que l'histoire avance.
Malgré tout, j'aime la raison qui pousse Abi à utiliser ces tests-là : elle a noté ses rêves et a analysé ces derniers. C'est ce qui lui a permise de constater les éléments récurrents et de réagir en conséquence. Ce genre d'analyses est une chose que les rêveur·euses lucides font souvent.

Il y a plusieurs dualités dans ce roman. La première, et la plus évidente, est celle qui oppose rêve et réalité. Ici, on ne retrouve pas d'opposition manichéenne, avec le monde des rêves où « tout est possible » qui semblerait mieux que la morne réalité. Non, ici, les deux se valent. Abi n'est en sécurité nulle part, elle n'a pas vraiment de moments de répit : à cause de son métier et de son passé, ses rêves sont souvent chaotiques, violents, peuplés de créatures hideuses. Sa réalité n'est guère mieux car elle lutte contre son corps, sa maladie, contre les monstres bien réels que sont les criminel.le.s.
Une autre dualité est celle qui oppose corps et esprit. Abi perd la mémoire, de plus en plus souvent. Son esprit lui fait alors défaut, elle ne peut pas s'y fier. Elle utilise alors son corps pour tenter de rester dans la réalité : elle se fait mal pour savoir si elle rêve ou non. Son corps est donc une sorte de bouée de sauvetage pour ne pas perdre pied... sauf que son corps n'est pas totalement fiable non plus, à cause de crises de sommeil ou de cataplexie qui peuvent la prendre n'importe quand. Là encore, Abi n'a pas de point de repères, pas de moyen de se stabiliser.
Il y a aussi une dualité temporelle et narrative. Le récit est structuré en deux axes temporels : l'un débute un peu avant l'accident, l'autre dix jours avant la résolution de l'enquête policière.
Les aller-retours entrent ces deux axes sont fréquents. De plus, en parallèle, il y a deux trames narratives : l'une suit l'enquête policière, l'autre se concentre sur Abigaël qui mène une (en)quête personnelle sur les mystères autour du fameux accident et qui lutte contre les pertes de mémoire aux origines inconnues.

Tout cela m'a un peu donné le vertige. Tout comme notre protagoniste, je me suis vite sentie perdue, ne sachant qui ou quoi croire.
Un petit repère est donné pour nous aider à remettre de l'ordre dans les événements mais malgré tout, un retour en arrière a été nécessaire pour me remémorer les événements précédents.
Le repère en question est une ligne avec deux points, les deux événements majeurs de l'histoire. Les autres sont vaguement situés sur cet axe, mais restent flous. Au cours de ma lecture, j'ai regretté de ne pas avoir pris quelques notes pour garder une trace des événements et l'ordre dans lequel ils se sont produits. Avec un autre livre, je pense que j'aurais trouvé ça gênant mais dans ce dernier, cela m'a aidée à ressentir une forte empathie pour Abigaël. Elle écrit pour lutter contre ses pertes de mémoire et je me suis retrouvée dans la même posture qu'elle : obligée de me raccrocher à un support écrit pour ne pas oublier ce qu'il s'est passé. Je me suis mise à douter de tout, également. On peut être certain.e des deux événements principaux, mais pas des autres car ils ne laissent pas de trace sur l'axe. Abi est-elle en train de perdre la tête ? Vit-elle vraiment les événements racontés ou tout cela se passe-t-il uniquement dans son esprit ? Ou, pire, est-ce un mélange des deux, tellement indissociables qu'il serait impossible de savoir ce qui est réel et ce qui ne l'est pas ?
Cependant, il y a une chose à laquelle j'ai pu me raccrocher, ce sont les émotions d'Abi. Que les événements soient réels ou non, c'est bien la seule chose sur laquelle on ne peut douter : elle a peur, elle est perdue, elle doute. Mais aussi, et surtout, elle fait preuve d'un courage et d'une détermination incroyables pour découvrir la vérité et s'en sortir par tous les moyens.

Donc, beaucoup de bonnes choses, beaucoup d'émotions, de réflexions...
Aussi, j'ai trouvé la fin un peu fade par rapport au reste. Je suis tout de même soulagée que ce ne soit pas un cliché du genre « Ah bah tout ça était faux, elle était dans le coma suite à l'accident ».
Même si l'auteur s'est bien amusé à nous perdre du début à la fin (perso, je me suis faite avoir...deux fois), les révélations finales ne sont pas aussi exceptionnelles que le parcours de notre chère Abigaël. J'ai parfaitement compris les motivations de l'antagoniste mais j'ai trouvé celles-ci un peu « légères », même si on peut les expliquer facilement (je ne dirais rien, sinon je spoile une bonne partie de l'histoire).


Bref !

Un coup de cœur ! J'ai découvert ce livre au travers d'une communauté de rêveurs.euses lucides dont je fais partie. Les rêves m'intéressent depuis longtemps. J'avais un peu peur du traitement réservé aux rêves et aux maladies du sommeil, plus précisément. Mais ici, je ne trouve presque rien à redire, si ce n'est les tests de réalité.
Je suis restée agrippée à l'histoire et il ne m'a pas fallu longtemps pour la finir. Cela a même donné un petit coup de pouce à ma mémoire onirique*. La fin du roman m'a un peu déçue, certes, mais elle reste logique et pertinente à mes yeux.
Je déconseille ce roman aux personnes qui n'aiment pas les récits ayant une chronologie chaotique. Par contre, si tu aimes ce qui touche aux rêves, au sommeil, etc, c'est une lecture intéressante et agréable car les erreurs dans ce domaine sont rares et ne nous sortent pas du roman.


Citation

« Que sommes-nous, sans mémoire, sans souvenirs, sans le rappel de ces visages, de ces voix qui ont accompagné nos existences ? Juste un point sur la courbe du temps ? »
(Assez drôle quand on sait que le repère qu'on nous donne est présenté sous forme de point sur un axe temporel ^^).


Bonus - Dictionnaire

Narcolepsie (ou maladie de Gélineau) : trouble du sommeil chronique, caractérisé par un temps de sommeil excessif. Les personnes concernées peuvent s'endormir involontairement, en pleine journée.

Rêve lucide : rêve dans lequel la personne est consciente qu'elle est en train de rêver. 
Le rêve lucide est un phénomène normal, qui peut être provoqué, qui a été étudié et vérifié scientifiquement. Les travaux de Stephen Laberge sont les plus connus actuellement.
Voir le site "Attrape-Songes" pour en savoir plus : http://attrape-songes.com/ 

Cataplexie : un des symptômes majeurs de la narcolepsie. C'est une perte du tonus musculaire, le plus souvent sous l'effet d'une forte émotion. La cataplexie cesse quand l'émotion cesse. Cela peut concerner certains muscles ou le corps entier, sans altération de la conscience (la personne s'effondre mais est parfaitement éveillée).

Paralysie du sommeil : lors de l'endormissement, le corps est soumis à une atonie musculaire, une paralysie des muscles pour éviter de bouger lors des rêves (imaginez le danger, si vous rêvez que vous sautez par la fenêtre pour voler ? sans l'atonie musculaire, vous sauteriez pour de vrai !). En temps normal, quand cette atonie intervient, nous ne sommes plus conscients. Mais certaines personnes le sont toujours. Elles sont donc paralysées mais conscientes. Cette expérience, appelée "paralysie du sommeil", peut être accompagnée d'hallucinations ou de sensations d'étouffement, ce qui rend le tout très désagréable quand on y est confronté·e pour la première fois.
La paralysie du sommeil peut être un symptôme de la narcolepsie.

Test de réalité : pour provoquer un rêve lucide, il existe plusieurs techniques. L'une d'elles consiste à vérifier régulièrement si on est en train de rêver, en espérant développer ce réflexe dans ses rêves. Il s'agit donc de "tester" la réalité. Pour cela, on se base sur certaines incohérences liées au monde des rêves.
Ex : dans un rêve, il est difficile, voire impossible, de voir le reflet d'un miroir. Le reflet est souvent flou, parfois au point de ressembler à un nuage de fumée, ou il est très différent de ce qu'il montrait.
Autre ex : dans les rêves, il est possible de se pincer le nez et de respirer par celui-ci malgré tout.
Donc, comme test de réalité, on peut décider de regarder un miroir ou de se pincer le nez et d'essayer de respirer par celui-ci. Si le miroir est net ou si l'air ne passe pas, cela veut dire qu'on ne rêve pas. Dans le cas contraire, c'est un rêve.

Mémoire onirique : Capacité à se souvenir de ses rêves au réveil. Chacun·e se souvient plus ou moins de ses rêves : certaines personnes peuvent ne garder aucun souvenir, d'autres ont des souvenirs très précis, avec beaucoup de détails.
La mémoire peut se travailler, en prenant l'habitude de noter ses rêves, tous les jours. Lire/écrire/réfléchir sur le sujet peut également avoir un effet positif sur la mémoire.

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